Immersion dans une matinée classique à bord de notre chaloupe. À notre plus grande et agréable surprise, nous nous sommes aperçus que ce premier mois de confinement nous avait permis d’élaborer notre propre langage. Nous sommes peut-être même en train de nous transformer.
Pour des raisons que vous comprendrez en nous écoutant, il vous semblera logique que cette chaloupe soit rebaptisée Arche…

Je suis tombée du lit. Pour ceux qui ont suivi, pour les auditeurs assidus, ma nuit a été… comme d’habitude. 

Ici, à l’Aubergerie, la pièce à vivre est grande. C’est une salle de resto qu’on a transformée en salon XXL et en salle à se régaler (j’aurais pu dire « salle à manger », comme tout le monde. Mais c’est moche).

Les tables, habituées à accueillir les coudes des chalands, sont en bois et joliment dépareillées. Tout comme les chaises. Elles ont toutes leurs caractères. Le parquet a 200 ans, et y’a des trous dedans. Il est de guingois et a un charme fou. Certaines de ses lattes luisent, d’autres boudent. Elles en ont vu des petons. Je les ai vues sales et pleines de miettes, je les ai vues propres et cirées. Je les ai vues grincer, onduler, bouger, et je les ai vues faire des blagues aux clients (gare aux maladroits ou aux joyeux avinés, les planches du parquet sont pleines de surprises…)
Bref, ici, contre vents et marées, ça tangue. On se croirait dans un bateau.

Pour les auditeurs assidus, les fidèles aux rendez-vous, vous le savez déjà : nous sommes dans un bateau. Sur un vaisseau Amiral. Capitaine Thomas, (rappelez-vous que tout va très vite en temps de crise) a « une casquette impeccable et une pipe en guise de sextant ». Il a installé son bureau à une table dans un coin au fond à droite, entre deux fenêtres. Giorgos, matelos philosophe, d’habitude, occupe celle qui est à l’opposé, et se concentre sur ses photos. Peiyo, marin ornitho, sifflote au bureau qu’il a choisi dans la diagonale du matelot Giorgos. Isa, figure de proue, télébosse depuis là-haut, et pose son regard bleu sur le large. Blondin le corsaire, lui, a investi la terrasse pour engloutir tout Asimov. Et parfois il se hisse au salon, pas loin du patron. Et moi, moussaillonne, je suis installée à gauche de Peyio, en face de Giorgos, enfin de trois quarts, à droite de Thomas mais parfois face à lui, sous Isa puisqu’elle est là-haut et toujours trop loin de Blondin.
Ce matin, presque tout le monde est sur le pont. Presque tout le monde, car le matelot philosophe ne s’est pas montré, il doit être en train de penser. . Blondin s’est octroyé un quart de dodo. Notre figure de proue écoute les nouvelles du monde, et le Capitaine envoie des messages en morse aux terriens. Le marin ornitho me confirme que l’oiseau que j’ai vu un peu plus tôt près d’une de nos voiles est un Rouge Queue Noir. Je n’en avais jamais vu, et pourtant ils ne sont pas si rares, surtout aux abords des vaisseaux comme le nôtre. C’était une femelle, et elle cherche une niche. 

De son pas enlevé, et parce que nulle terre ne se profile à l’horizon, notre figure de proue vient de quitter le bastingage et nous rejoint au cœur de la coque, pour embrasser le maître du navire. Blondin s’est réveillé, embrumé.
Je n’ai rien vu venir, je ne sais pas pourquoi et je n’ai rien compris mais d’un coup « bèèèèè ». Quelqu’un bêle. Je crois que c’est Isa ! Ce qui est génial, c’est que ça ne paraît bizarre à personne. Et on se met tous à bêler. Ça nous amuse et ça nous défoule, pourquoi se priver ! Le bêlement isolé s’est transformé en une chorale animale et chacun de nous invente une voix de moutons. Et voilà qu’un dindon débarque. Quel glouglou ! Oh et un âne aussi, et un chien, un chat … et un bouc en rut !

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4 commentaires

  1. Et la mer, comment est-elle, calme, agité, violente, bleu, verte, brune, moussue ou huileuse ? J’adore la chute de ton histoire…

  2. Et la mer, comment est-elle, calme, agité, violente, bleu, verte, brune, moussue ou huileuse ? J’adore la chute de ton histoire…

  3. A défaut de déconfi-truc, ça déconne dru en bréêê-êê-da. Vous me remettez la tête à l’endroit, enfin presque : où sont mes oreilles ? où se cache mon pied droit ? pour quelle raison mes coudes se recouvrent-ils de plumes ? Et l’arrière de mon pyjama (je traîne) s’agrémente d’un éventail façon « paen »… Inquiétude et joie. Belle paire de ressenti. Merci.

  4. A défaut de déconfi-truc, ça déconne dru en bréêê-êê-da. Vous me remettez la tête à l’endroit, enfin presque : où sont mes oreilles ? où se cache mon pied droit ? pour quelle raison mes coudes se recouvrent-ils de plumes ? Et l’arrière de mon pyjama (je traîne) s’agrémente d’un éventail façon « paen »… Inquiétude et joie. Belle paire de ressenti. Merci.

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