Mais l’espèce des humains se redresse. Elle fait appel à d’autres armées, d’autre générales, Dame Bienfaisance, Dame Liberté, Dame Tendresse. Aussi la ville est calme, silencieuse, paisible, débarrassée des bruits des voitures, des bousculades d’humains.
Le Vieux bonhomme est plongé dans un doute
(S1- E5 comme y disent à la télé)
« Les rois d’Egypte et de Syrie
voulaient qu’on embauma leur corps
pour durer plus longtemps mort
quelle folie
buvons donc toute notre vie
Embaumons-nous jusqu’à la mort
Que ce baume est doux. »*
Que se passe-t-il ? Le vieux bonhomme danse et saute comme un vieux fou. Pas bien haut vu son âge. Soudain il s’arrête, se penche en avant met ses mains sur son dos et fait une vilaine grimace. Les ans se rappellent à lui.
Cette gaîté est surprenante en ces temps de drame planétaire. Jusque là le Vieux Bonhomme n’avait pas abusé de sa boisson favorite. Sur l’étiquette du flacon a-t-il lu « sans modération « au lieu de « avec modération » ? Impossible, même si il est parfois distrait.
Simplement il se sent en harmonie avec la nature revigorée grâce à Dame Planète. Il fait beau, les fleurs de son balcon sont belles. L’ortie va bien. Il a même vu apparaître ce matin les premières clochettes de muguet, dans un pot où il n’en a pas planté. Comme l’ortie ou les violettes le muguet s’est invité chez le Vieux Bonhomme parce qu’il le trouve sympathique et sa terrasse accueillante.
De voir voler ses voisines corneilles noires l’apaise. Comme les moineaux l’hiver quand il leur donne des boules de graisse.
La lune regarde la grosse orange bleue agonir dans un émerveillement sidéral.
Le Vieux Bonhomme doute. La nature va mieux, l’air est moins chargé de toutes les saletés de la civilisation. Mais un bruit de fond d’exhalaisons de moteurs, de déchaînement d’humains méchants reprenant des forces. Est-ce le calme avant la tempête ? Les bataillons des destructeurs de Planète se préparent-ils ?
Faut-il que Dame Planète renforce ses attaques et mobilise les armées de ses générales Dame Solitude, Dame Douleur et Dame Misère ? Si elle se sent mieux dans sa nature, elle fait très mal à l’espèce des humains. Pas tous, mais ils sont trop nombreux quand même. Et qu’en sera-t-il dans l’avenir ?
Dans le vieux grimoire il a trouvé quelques vers de poésie :
interdit étonné bousculé
le nez au vent interpelé
ni pressé ni dolent ni heureux
il marche nonchalant et curieux
elle est là blottie dans son manteau mité
susurrant quelques bribes radotées
usée en murmure de souffle d’air
racontant des histoires lapidaires
là où tout se brouille et se ment
où il passe et ne voit pas les gens
comme un oiseau léger négligent
où êtes-vous ma mie mon enfant adorée
en quel rêve de gloire quel pays désiré usez-vous des artifices de beauté rarement épanouis en exubérante clarté demain peut-être, le soleil se lèvera
un jour plus tard elle partira
relevée sur le chemin oublié
comme un animal errant singulier
il neige sur la place la statue les bancs et cetera
Le vieux bonhomme a mal dormi. Il est pris dans le doute. Dans la rage, la colère, il a mal. Il se sent déboussolé, il ne sait plus où il en est. Il n’en peut plus. Il en oublierait même son pastis. C’est grave.
Le ciel gronde, le sol tremble, les continents s’ébrouent, les bêtes se révoltent, la nature s’enflamme, l’océan bouillonne, les hommes ont peur.
Mais l’espèce des humains se redresse. Elle fait appel à d’autres armées, d’autre générales, Dame Bienfaisance, Dame Liberté, Dame Tendresse. Aussi la ville est calme, silencieuse, paisible, débarrassée des bruits des voitures, des bousculades d’humains. Parfois dans la rue on se dit bonjour quand on se croise avec les gens.
Et, comme dans le silence de la ville la voix du Vieux Bonhomme porte loin, il crie à Dame Planète : « Tu ne me réponds pas bien sûr car je ne sais pas parler ta langue. Ne sème plus la mort. J’ai senti une trépidation de ta carcasse. Tu ne vas pas en plus nous envoyer des tremblements de terre, des tsunamis, des tornades, des cyclones, des ouragans et mobiliser toutes tes armées de volcans. »
Mais Dame Planète n’en a rien à faire de ce microbe sur cette terrasse insignifiante d’un immeuble banal dans une rue sans intérêt d’une ville quelconque d’un pays ordinaire.
Mais les hommes guéris vont-ils reprendre leurs habitudes mortifères, faut-il que Dame Planète leur envoie de nouveaux malheurs pour que sa nature revive.
Le Vieux Bonhomme est perdu, désemparé, troublé. Alors il chante.
« La la la ….
Quand la flamme
De l’amour
Brule l’âme
Nuit et jour
Pour l’éteindre
Quelques fois
Sans me plaindre
Moi, je bois
Je ris ! Je chante !
Je ris je chante et je bois.
Tra la la … « **
Et comme c’est bon pour le moral il va sur sa terrasse boire son pastis. * Chanson à boire, Francis Poulenc, Chansons Gaillardes
** Air, Georges Bizet, La jolie fille de Perth Patrick Sibille – 20 avril 2020